Le Grand Carême, entraînement pour le Royaume de Dieu

Qui parmi nous ne souhaite pas aller au Paradis ? Je pense que tout être humain souhaite le bien et rejette le mal. Mais atteindre la perfection n’est pas tout à fait facile puisque sur notre chemin vers la sainteté nous rencontrons quelques obstacles et pour les surmonter nous avons besoin d’une certaine préparation. C’est là qu’intervient le Carême en tant que moyen d’entraînement. Et le Grand Carême commence.

Pour décrire la vie de chrétien de ce monde, saint apôtre Paul fait appel à l’image de l’athlète qui court pour remporter la victoire. Ceci suppose cependant beaucoup d’entraînement qui, en grandes lignes, est décrit par Dieu à travers l’accomplissement de deux exercices fondamentaux : le jeûne et la prière. Mais qu’est-ce que le jeûne et qu’est-ce que la prière ?

A travers le Carême l’être humain s’entraîne avec tout son être, corps et âme, à acquérir l’abstinence qui nous aide à rétablir l’équilibre de nos forces spirituelles et charnelles. Comme tout entraînement, il commence par l’échauffement, puis le parcours et ensuite la finalisation. Rentrons un peu plus dans le détail.

L’échauffement. Consiste à s’abstenir temporairement de tout aliment d’origine animale et à certains degrés même de l’alimentation végétale, pour un certain temps. Ne s’agissant pas d’un simple régime alimentaire, mais d’une forme d’ascèse, cette abstinence inculque en nous nos désirs, de sorte que ce ne sont plus eux qui nous maîtrisent, mais bien l’inverse, tel qu’il est normal. Ainsi nous obtenons un raffermissement de notre volonté qui nous aide à dire NON au moment où apparaît la tentation qui entraîne ensuite le péché. Voilà comment, à travers l’ascèse matérielle nous commençons déjà à cueillir des fruits spirituels. C’est exactement l’exercice du jeûne prescrit à l’homme par Dieu au premier Paradis. La non-obéissance à cause de l’orgueil et du désir a engendré l’expulsion de l’être humain du Paradis, l’altération de sa relation avec la divinité, le bouleversement de l’être humain, la corruption morale, l’apparition de la mort et la sauvagerie de l’environnement. Mais, contrairement aux coutumes populaires, le terme de la semaine de Carnaval ou la fin de la semaine de la tyrophagie ne signifient pas vider le réfrigérateur ou le garde-manger, mais marquent le passage à une alimentation sèche, pauvre, afin de quitter le matériel (par la déclinaison du latin saeculum (un laps de temps dans le monde) en saecularis (qui tient à ce monde)).

Le parcours. Le raffermissement de la volonté ne suffit pas pour atteindre la perfection, il faut soigner deux autres puissances spirituelles : l’illumination de l’esprit et la purification des sentiments. Ces deux dernières contribuent au renforcement du discernement spirituel tellement nécessaire à l’être humain dans son chemin vers l’éternité. C’est à partir de là que l’entraînement devient de plus en plus intense.

Pour commencer, on se doit de faire silence à l’intérieur de nous-mêmes. C’est pourquoi tous nos sens doivent jeûner, pour limiter les sensations qui réveillent les désirs et les vices. Si le goût a été mis à l’abri par le jeûne alimentaire, suivent les autres sens : l’odorat par la renonciation aux arômes raffinés, l’ouïe par l’élimination des sons troublants et leur remplacement par des sons qui apaisent, le toucher par l’abandon des contacts agréables, provocateurs ou intimes, même ceux bénis par Dieu. Simultanément, on limite même notre façon de s’extérioriser : on parle moins, en évoquant seulement les sujets utiles à nos âmes, les bras et les jambes quittent les œuvres mauvaises et sont mises au service du bien, et l’embellissement du corps se réduit à la purification de l’âme en vue de la sainteté.  Les distractions se transforment elles-aussi de plaisirs décadents en joies spirituelles.

Je mentionne plus particulièrement la vue, car il s’agit du sens le plus important. Vivant dans l’époque du visuel, on peut parler d’un nouveau type de jeûne : le jeûne médiatique. Puisque les images sont porteuses d’informations et d’émotions, on se doit de choisir avec beaucoup de discernement ce que l’on regarde. La consommation médiatique, de même que la consommation alimentaire, est conditionnée par les désirs de l’être humain ; c’est pourquoi le jeûne médiatique suppose la limitation des images qui nous apportent du plaisir et la recherche de celles qui nous inspirent la sainteté. L’érotisme, la violence ou la frivolité alimentent l’immoralité et causent la perte de temps. C’est pourquoi ces choses-là doivent être stoppées et remplacées par celles qui peuvent nous faire grandir spirituellement. Une place à part dans le sens de la vue occupe la lecture. Si le manque de lecture est une voie certaine vers le manque d’éducation, la lecture de textes inutiles peut produire de mauvais états d’âme et faire rater le but du Carême. C’est pourquoi on conseille la lecture des textes sacrés pendant le Carême, leur but étant l’illumination de l’esprit afin d’acquérir le bon jugement.

Je disais par ailleurs que même les sentiments doivent être purifiés. Et c’est là que la difficulté commence, car la bataille contre ses propres sentiments est la plus dure. Un esprit illuminé et une volonté raffermie aident à la purification des sentiments par la prise de conscience des états spirituels négatifs : orgueil, colère, haine, gourmandise, indifférentisme, égoïsme, etc. Mais on obtient le pouvoir d’éliminer ces états seulement si on introduit un nouvel élément : la prière. Pour beaucoup d’entre nous, la prière peut paraître une pratique formelle, pendant laquelle on dit certaines prières, à l’Eglise ou chez soi. En réalité, ces prières sont des lettres spirituelles, semblables aux lettres de l’alphabet, avec lesquelles nous construisons non pas des mots, mais des états spirituels qui, à leur tour, ouvrent un dialogue spirituel avec Dieu dont deux conséquences sont immédiates : la purification des sentiments spirituels par l’élimination des états négatifs et la rencontre avec l’Esprit divin, surtout par la puissance des Saints Dons conseillés plus particulièrement pendant le Carême : la Confession et la Communion (quel grand mystère que l’être humain mange et bois le corps et le sang du Christ !). On rappelle ici deux autres prières d’une extraordinaire puissance de purification de l’âme, spécifiques au Grand Carême : le Canon de Saint André de Crète et la prière de Saint Ephrem le Syrien. Il est également utile de suivre le trajet spirituel que l’église jalonne à travers ce Carême, avec des Dimanches extraordinaires, chargés de significations spirituelles, suivis par la Semaine des Passions du Seigneur, quand l’être humain marque la plus déchue de ses réussites : la Crucifixion du Christ.

On s’approche de la finalisation de l’entraînement, le but de l’entraînement étant la Communion avec Dieu. Comment y arrive-t-on ? Si on sait que Dieu est amour, selon le théologien de l’amour, saint Jean l’Evangéliste, la réponse est claire : à travers l’amour. Par ailleurs, le Christ donne à tous les chrétiens un seul et nouveau commandement, celui de l’amour par abandon de soi. Mais comment aimer, car aussi simple et connu semble l’amour, aussi difficile soit-il de l’éprouver ? Les Saint Pères nous apprennent que si nous avons jeûné comme on se doit et si on a réussi à identifier les maux qui règnent en nous, le moyen le plus rapide pour les éliminer est en les remplaçant par les vertus correspondantes. Ainsi, l’orgueil est remplacée par l’humilité, l’adversité par le pardon, la colère par la douceur, la gourmandise par l’abstinence, l’égoïsme par la générosité, l’indolence par l’implication et ainsi de suite.

Il est probable, cher lecteur, qu’en ce moment précis tu te dises : si je regarde autour de moi, tout paraît d’un grand désordre moral, fait – semblerait-il – pour me décourager. Tu ne dois pas désespérer. Dis-toi que le mal autour n’est que la conséquence du fait que les êtres humains ont perdu l’habitude ou ne veulent plus jeûner comme on se doit. De la même façon que l’être humain au Paradis, l’être humain contemporain pense qu’il peut vivre à sa guise et selon son cœur, sans les limitations du jeûne. Cependant le pauvre être humain contemporain a oublié que le libertinage n’est pas liberté, mais servitude. Seul le jeûne peut lui offrir la chance de se libérer de son propre esclavage.

Pour conclure, le Grand Carême est une bataille de l’être humain contre le mal qui se trouve à l’intérieur de lui-même, une offrande à Dieu en vue d’obtenir la Communion avec Lui à travers la Résurrection.

Que Dieu Bénisse notre jeûne !

(Ce texte a été publié pour la première fois sur le blog de père Eugen Tanasescu sur adevarul.ro / www.doxologia.ro – traduction Raluca Făgurel )

foto: monasterevmc.org

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