L’espace intérieur des églises de rite orthodoxe, ainsi que leur extérieur, est soumis à des règles de composition établies dès les premiers siècles de la chrétienté et transmises jusqu’à nos jours. « L’église est le ciel sur la terre », disait Saint Germain, patriarche de Constantinople. Voilà pourquoi tous les éléments composant l’espace ecclésiastique ne font qu’intercéder la relation entre les fidèles présents à la Divine Liturgie et le Royaume des Cieux.
L’iconostase, présente dans tout lieu de culte orthodoxe, s’inscrit pleinement dans cette fonction. Elle matérialise la délimitation entre l’autel et la nef de l’église et sert aussi de support pour les icones disposées dans un ordre très bien défini par la théologie. Cette délimitation peut être en bois, en métal ou en maçonnerie, mais dans les premiers siècles de l’Eglise Chrétienne, la séparation entre l’autel et la nef se faisait par un rideau. Dans le temps, cette limite s’est transformée en élément rigide et, par le développement des objets iconographiques, elle est arrivée à la forme que nous connaissons à présent.
Même si d’un point de vue physique, l’iconostase est une limite, un objet qui sépare, spirituellement elle est unificatrice. Elle crée le lien entre les fidèles et le miracle des Saint Sacrements, car, par la disposition des icônes, elle reflète le sens de la prière eucharistique qui est accomplie par le prêtre dans l’autel. Elle est comme un pont à travers lequel les fidèles peuvent contempler la vie éternelle et se transposer dans l’état spirituel que l’accomplissement de la prière nécessite.
Sous sa forme classique, l’iconostase se compose de cinq registres d’icônes et possède une croix dans sa partie supérieure. Cette forme est apparue au XIII siècle en Russie. Chaque registre d’icônes est spécifique. En partant du haut on retrouve: le registre des Patriarches (qui crée le lien avec l’Ancien Testament jusqu’à la Loi de Moïse, avec l’icône de la Sainte Trinité au centre), le registre des Prophètes (en lien avec l’Ancien Testament jusqu’au Christ), le registre Déisis (les 12 Apôtres avec l’icône Déisis au centre – le Christ au jugement dernier, ayant à Sa droite la Mère de Dieu et à Sa gauche Saint Jean Baptiste) et le registre de l’Eglise locale (qui crée le lien entre le ciel et la terre). Ce dernier registre est le plus grand, étant placé au niveau des portes de l’autel (les portes royales). D’un côté et de l’autre des portes il y a les icônes royales : à droite Christ le Sauveur et à gauche l’icône de Sa Sainte Mère. Toujours dans ce registre on trouve l’icône du saint patron de l’église à droite et l’icône de Saint Jean-Baptiste ou de Saint Nicolas à gauche. Les portes royales sont peintes avec la scène de l’Annonciation et sur les portes latérales on trouve les représentations des Saints Archanges Michel et Gabriel.
Par son emplacement dans l’une des cryptes de l’église Saint Sulpice, l’iconostase de la Paroisse Ste Parascève – Ste Geneviève ressemble à l’espace dont elle fait partie : par sa forme, il est atypique pour une église orthodoxe. En entrant dans la chapelle St François, l’iconostase est le premier élément qui attire notre regard : la chaleur du bois dont elle est faite, contraste avec les murs en pierre, froids et épais. De style spécifique à la zone de Maramures (au nord de la Roumanie) et construite avec des éléments en bois associés l’un à l’autre avec de gros clous en bois, l’iconostase entre en un dialogue harmonieux avec l’espace où il se trouve.
Etant donné que le lieu de culte ne dispose pas d’une abside pour le sanctuaire comme on trouve habituellement dans les églises orthodoxes, l’iconostase a une forme demi-hexagonale, fermant l’autel sur trois côtés. En conséquence, elle a des dimensions plus importantes qu’une iconostase classique et dispose de plus de place en plan horizontal pour l’exposition des icônes. En revanche, l’iconostase ne possède que deux registres en verticale en raison de la hauteur limitée de la crypte : le registre de l’Eglise locale et le Déisis. Dans le premier registre on trouve les icônes royales de chaque côté des portes royales, ensuite l’icône de St Jean-Baptiste à gauche et l’icône des saints patrons à droite. L’icône des saints patrons est spéciale, elle représente dans la même image Sainte Geneviève et Sainte Parascève. Cette icône figure la réalité du Royaume des Cieux où les deux saintes prient ensemble pour les fidèles. Dans la vie terrestre, elles ont vécu à quelques siècles de différence (Ste Geneviève – 5e siècle, Ste Parascève – 11e siècle). Ensuite, après les portes latérales, l’iconostase dispose de place pour installer d’autres icônes, qui normalement n’entrent pas dans la structure d’une iconostase classique. Nous avons la joie de signaler l’installation récente de deux icônes sur l’iconostase : l’icône des Trois Saint Hiérarques, Saint Jean Chrysostome, Saint Basil le Grand et Saint Grégoire le Théologien et l’icône de Saint Nicolas.
La disparition des éléments iconographiques sur les portes et leur remplacement avec de motifs traditionnels roumains sculptés dans le bois est une autre particularité de l’iconostase. Ces éléments d’inspiration traditionnelle sont chargés d’un fort symbolisme religieux : la corde, le soleil, la rose solaire et ils sont juxtaposés à des symboles théologiques : la croix, l’aigle à deux têtes et le monogramme de Christ. Dans l’univers populaire la corde signifie l’ascension. Elle est représentée de différentes manières, en forme de cercle, de losange ou de croix. Le lien avec le plus important symbole chrétien n’est pas au hasard. La corde torsadée est l’infini, l’aspiration vers les hauteurs, le lien entre le ciel et la terre. Elle est au même temps la manière et le désir d’ascension vers Dieu. Il n’est pas par hasard que la corde est placée dans la partie haute de l’iconostase. Le concept d’entrecroisement a des significations spirituelles profondes : l’unification des forces bénéfiques. Si dans la conception populaire les cheveux tressés symbolisent la virginité, la corde de fumée symbolise la voie par laquelle l’âme atteint le ciel.
Le motif du soleil est un symbole sacré très courant. Symbole de la Divinité vivifiante, source de lumière et de chaleur, il a une influence active sur la vie humaine et sur celle des animaux. Le soleil est au même temps symbole de la Résurrection et de la vie éternelle et il est identifié avec la personne de notre Seigneur Jésus Christ. La rose à sept pétales inscrite dans un cercle est aussi un symbole solaire. Elle signifie la perfection et par sa ressemblance à une roue, elle est étroitement liée à l’idée de vie éternelle. Des chaînes de nœuds rhomboïdes sont représentées sur les portes latérales. Elles renvoient à l’image du rosaire, symbolisant la Divinité Créatrice comme axe invisible qui porte les mondes visible et invisible.
Les motifs théologiques présents sur l’iconostase ne font que renforcer les symboles traditionnels. D’un côté et de l’autre de la croix, l’aigle à deux têtes signifie l’union entre la nature humaine et la nature divine dans la personne de Jésus Christ. Le monogramme de Christ, en bas de l’iconostase est le symbole que les chrétiens employaient dans les premiers siècles du christianisme pour se reconnaître. Sa forme provient des lettres grecques XP (chri-rho) qu’on retrouve au début du nom du Christ (Χριστός).
Pour nous, ceux qui vivent le miracle de la rencontre de Dieu dans le sous-sol parisien, l’iconostase est le symbole de la vraie foi dans un espace qui pourrait paraître neutre et froid, un témoignage de l’orthodoxie. Elle est celle qui donne du caractère à l’espace et le transforme en véritable lieu de culte. Lien entre le ciel et la terre, l’iconostase nous offre l’image du Royaume de Dieu.