L’histoire des cryptes de l’église Saint Sulpice

Chaque dimanche, les fidèles de notre paroisse se réunissent dans un lieu original, un lieu qui a gagné une grande valeur spirituelle dans nos âmes : les cryptes de l’église Saint Sulpice. Déjà habitués au décor austère de cet espace où on retrouve Dieu, très peu d’entre nous  se posent de questions par rapport aux origines et l’historique de cet endroit plein d’histoire, situé au cœur de Paris.

Même s’il est difficile de s’en apercevoir, la crypte de l’église Saint Sulpice est la plus vaste de Paris, comptant environ 5000m². Occupant la même superficie que l’église d’au-dessus – la deuxième comme dimensions après la Cathédrale Notre Dame, ce labyrinthe de piliers, grillages métalliques et installations techniques garde gravé dans ses murs l’histoire de toute l’église et les traces de tous les siècles qui se sont écoulés. Voici la raison pour laquelle, avant d’effectuer cette visite virtuelle des cryptes, nous devrions jeter un coup d’œil sur tout l’historique de l’édifice.

L’église Saint Sulpice en 1642 (Marot)

Fondée par l’abbaye de Saint Germain-de-Prés, la première chapelle construite sur cet endroit date du 13e siècle. Celle-ci a été remplacée par une véritable église un siècle plus tard, dont les murs sont toujours visibles aujourd’hui dans les cryptes. A cette époque-là, les alentours de l’église n’étaient qu’un faubourg avec un caractère profondément rural. Devenue petit à petit insuffisante pour le grand nombre de fidèles, l’église Saint Sulpice a été agrandie plusieurs fois afin de supporter la croissance démographique des siècles suivants. Les premiers travaux importants pour la construction de l’église actuelle ont été commencés en 1642 sous la direction de l’architecte Cristophe Gamard, celui qui a dessiné également le chœur de l’église Saint Eustache. Ces travaux finiront, après plusieurs interruptions, en 1788. Ce qui est très intéressant à noter c’est que l’axe de la nouvelle église a une direction légèrement différente par rapport de celui de l’église initiale (qui avait une orientation parfaite vers l’est). Cela correspond  aux nouvelles grandes lignes données par la ville en plein développement.

Comparaison entre le plan de l’actuelle église et l’emprise de l’église de 15e siècle

Immédiatement après la finalisation des travaux (à l’exception de la tour sud qui n’est toujours pas terminée), le déclenchement de la Révolution Française met fin à l’office des messes religieuses dans l’église. Celle-ci sera transformé successivement  partir de l’année 1793 en bureau d’enrôlement,  temple de la déesse Raison (sic), magasin de fourrages etc. Rouverte comme église en 1802 elle sera confiée à nouveau au culte catholique par Napoléon Bonaparte.

Au premier clin d’œil qu’on jette sur les plans de la crypte de l’église Saint Sulpice on est frappé par la clarté avec laquelle les murs de l’église du 15e siècle se détachent. Ceci est possible notamment grâce aux directions différentes des deux églises.

La partie la plus visible de l’ancienne église est l’abside du chœur, qui peut être observée dans la Crypte des Evêques, une des près de trente alvéoles formés par l’intersection des fondations de l’église actuelle avec les murs de l’église de 13e et 15e siècle. Toujours dans cette crypte on a pu observer lors des différents évènements organisés par notre Métropole, deux sculptures des Saints Evangélistes Luc et Jean. Les signes de l’érosion sont très visibles sur ces sculptures qui étaient fixées auparavant à l’extérieur de l’église.

Cet espace cache aussi d’autres détails qui méritent l’attention : des anciennes inscriptions funéraires sur les murs en pierre nous indiquent qu’à cet endroit il y avait des sépultures. Effectivement, les cryptes de Saint Sulpice sont connues aussi parce qu’elles ont été utilisées, notamment pendant le 18e siècle, en tant que caveau pour des personnalités importantes de la religion catholique et de la culture française. On pense que dans le passé les cryptes abritaient entre 5.000 et 15.000 tombeaux. Aujourd’hui très peu subsistent encore, car beaucoup ont été détruits pendant la Révolution Française. Il ne reste que les inscriptions sur les murs des cryptes pour garder la mémoire de ceux qui reposaient ici. Dans le Caveau de l’Espagne les inscriptions sur les murs indiquent qu’ici reposait la Reine de l’Espagne, Louise Elisabeth d’Orléans (1709-1742). Les seules sépultures identifiées, toujours en bon état, sont celles du compositeur Charles-Marie Widor (1844-1937), titulaire pendant 64 ans du Grand Orgue de l’église, et celui de Charles Collin, curé de l’église entre 1836-1851.

A l’heure actuelle plusieurs activités se déroulent dans les cryptes. Par exemple, un théâtre fonctionne dans une crypte qui est plus grande que les autres. Ses spectacles à sujet religieux ou mystique respectent l’esprit du lieu. Dans cette crypte, sur un des murs, un grillage couvre un trou et la plaque d’au-dessus nous indique que nous nous trouvons devant un ossuaire. Cet ossuaire garde tous les ossements trouvés dans différents caveaux de l’église l’année 1937. D’ailleurs ces ossements sont visibles derrière le grillage.

Les traces de l’ancienne église sont perceptibles également dans d’autres pièces : sur un des murs on peut toujours apercevoir le début d’un escalier qui menait vers le clocher primitif de 15e siècle. Mais peut-être l’élément que nous connaissons le mieux est le puits qui se trouve dans la crypte dont elle porte le nom, l’endroit où  plusieurs spectacles organisés par notre paroisse ou par la Métropole se sont déroulés. C’est le puits qui se trouvait sur le parvis devant l’église initiale et qui servait aux habitants du faubourg Saint Germain pour prendre de l’eau. Si on passe dans la crypte Vatican II, l’endroit où chaque dimanche les enfants de notre paroisse suivent la catéchèse, on peut admirer de belles fresques de 19e siècle. Malheureusement, une bonne partie de ces fresques a été abîmée au fil du temps et dans le 20e siècle elles ont même été couvertes de « blanc de Meudon ». La présence de ces fresques est due à la commémoration des premiers martyrs chrétiens des catacombes romaines. Ce fait est attesté par la présence sur les murs latéraux des représentations de Sainte Cécile et du pape Calixte I.

Certaines cryptes gardent toujours une vocation religieuse, étant aménagées en tant que petites chapelles pour le culte catholique : c’est le cas de la crypte de l’Enfant Jésus, qui se trouve dans la plus ancienne partie de la nouvelle église, et la crypte du Rosaire, qui se trouve en relation de symétrie avec la crypte de notre paroisse, par rapport à l’axe de l’église.

J’ai gardé pour la fin la description de la crypte Saint François, parce qu’il s’agit de la pièce que nous connaissons le mieux et qui a la plus grande importance dans nos consciences. Ici, depuis plus de 15 ans, fonctionne la paroisse orthodoxe roumaine Sainte Parascève-Sainte Geneviève. Chaque dimanche, un peu plus de 200 personnes se rassemblent ici pour assister à l’évènement le plus important de la vie du chrétien orthodoxe, la Divine Liturgie, et c’est pour ça que je ne me trompe pas en affirmant qu’il s’agit de la crypte la plus pleine de vie du sous-sol de l’église Saint-Sulpice. C’est un lieu qui nous est très cher et où on se sent chez nous, malgré son architecture non-conventionnelle pour un lieu de culte orthodoxe. Dans cet espace épuré de toute forme compliquée de décoration, la chaleur d’une iconostase sculptée en bois dans un style provenant de Maramures est en contraste avec les voûtes froides, avec les murs épais en pierre grise. Tout ce qui se passe ici semble tellement naturel et chacun de nous a pensé déjà à la ressemblance entre notre crypte et les catacombes où se cachaient les premières communautés chrétiennes. D’ailleurs le mot « crypte » trouve ses origines dans le mot grec « kryptos » qui se traduit par « caché ». Notre crypte est un lieu béni par Dieu, où l’on trouve notre paix intérieure, loin du bruit et de l’angoisse d’une société en déclin. 

Le temps a laissé des traces profondes dans les murs de la crypte. De la modeste chapelle d’un faubourg du Moyen Age, jusqu’à l’église somptueuse qui se dresse sur le parvis Saint Sulpice, le temps est passé sans pitié pour cette crypte. Aujourd’hui ces lieux continuent de vivre leur histoire et demain notre petite communauté fera partie également de son histoire. En attendant notre église tant désirée, nous savons que la crypte n’est pas qu’une étape intermédiaire ou un compromis nécessaire, mais elle fait partie de nous. Puisque c’est ici que nous avons (re)découvert l’orthodoxie. 

Sources principales pour les informations historiques: 

CLEMENT, Alain et THOMAS, Gilles, Atlas du Paris souterrain, Editions Parigramme, Compagnie parisienne du livre, 2001, Tours

Guide de voyage Paris secret, Encyclopedies du Voyages, Gallimard, 2013, Paris

Mairie de Paris – Direction générale de l’Information et de la Communication, Le 6e arrondissement : Itinéraires d’histoire et d’architecture, Collection Paris en 80 quartiers, Editions Maulde et Renou, 2000, Paris

LANDRU, Phillipe, Eglise Saint-Sulpice, article publié le 22 décembre 2010 sur le site Internet http://www.landrucimetieres.fr/

PENIN, Marie-Christine, Eglise Saint Sulpice (Paris), article publié le 10 mars 2012 sur le site Internet http://www.tombes-sepultures.com/

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