Cette année, au mois de mai, notre paroisse a accueilli l’exposition organisée par la Métropole dans le cadre du festival « Pour l’amour de la beauté ». Une bonne partie de cette exposition a été dédiée aux Saints Martyrs Brancovans et, compte tenu que l’année honorifique des Saints est presque à la fin, j’ai considéré qu’il serait intéressant de poser un regard rétrospectif sur cet évènement. A cette occasion, la Crypte du Puits a accueilli quelques dizaines d’œuvres de peinture qui constituent un bouquet d’exercices sur le thème de l’hagiographie des Saints Brancovans. L’auteur des œuvres, Elena Murariu, est un fameux peintre d’icônes et restaurateur de peinture murale de la Roumanie. Son intérêt pour les Saints Brancovans remonte à 1992, l’année où l’Eglise Orthodoxe Roumaine a décidé leur sanctification et leur commémoration à la date de 16 août.
Elena Murariu est née en 1963 à Zvoristea, dans le département de Suceava et a suivi les cours de l’Université Nationale d’Art de Bucarest dont elle a été diplômée en 1987. Ensuite, l’artiste a suivi une spécialisation dans la restauration de la peinture murale à ICCROM à Rome. Elena Murariu a concentré toute son activité autour de l’art sacré de tradition byzantine. Auteur de nombreuses expositions et d’ouvrages de restauration, l’artiste a reçu plusieurs prix et médailles pour son œuvre.
Je me souviens de l’impact profond que cette exposition a eu sur moi quand j’ai regardé pour la première fois les œuvres dédiés aux Saints Brancovans. Une sensation de délicatesse devant des images graphiques, épurées, tellement simples que presque esquissées, mais dont les lignes démontrent beaucoup de sureté et maîtrise de la représentation des icônes byzantines. Une sensation de chaleur grâce aux couleurs harmonieuses étalées de manière équilibrée sur le papier blanc, laissé pour la plupart des fois visible. Une sensation de flottement obtenue grâce au manque de décors derrière les silhouettes représentées. Par la délicatesse des techniques graphiques employées et la signification des symboles utilisés, l’exposition capte l’essentiel des vies humaines des Brancovans, vies couronnées par le sacrifice qui leur a permis le passage au Royaume de Cieux. Outre le martyre du prince, de ses fils et de son conseiller Ienake Vacarescu, l’artiste a aussi capté dans son œuvre la préoccupation permanente qu’ils manifestaient pour la spiritualité.
Le prince Costantin Brancovan est né le jour de l’Assomption, le 15 août 1654. Ses parents étaient le grand juge de la Cour, Mathieu Brancovan, et Stanca – la fille du prince Serban Catacuzino. Provenant d’une famille noble, Constantin Bancovan héritera une fortune impressionnante et recevra une riche éducation, qui lui permettra d’apprendre le grec, le latin et le slavon. Il épousera Marie, petite-fille du prince Antonié Popesti et ils auront quatre fils, eux aussi martyrs (Constantin, Etienne, Radu et Mathieu), et sept filles.
Pendant le règne de Constantin Brancovan, la personnalité exceptionnelle du prince a laissé son empreinte dans les affaires du pays, car la Valachie a connu une des plus longues périodes de paix, d’épanouissement culturel et de développement spirituel. Ses impressionnantes qualités diplomatiques et les relations cordiales avec les grandes puissances du moment, ont permis à Brancovan de maintenir la paix dans le pays, dans un contexte historique tendu. Brancovan s’est intéressé toute sa vie au développement de la culture. En tant que protecteur de la typographie et des écoles de Valachie et de la Transylvanie, Brancovan publie la deuxième édition de la Bible de Bucarest, qui est la première traduction en roumain des Saintes Ecritures, il crée des écoles et finance la formation de la nouvelle génération des cadres dans des écoles de prestige de l’Europe. Depuis son règne il nous reste le style architectural « brancovan », un regroupement des valeurs nationales de facture orientale et des tendances d’Europe de l’Ouest, ce style se développant en parallèle avec la Renaissance occidentale. La construction de nombreux lieux de culte, comme le monastère Hourezi ou l’église Saint Georges Nouveau de Bucarest, atteste sa préoccupation pour la vie spirituelle du pays et le transforme en l’un des plus importants fondateurs d’églises en Roumanie.
Le cycle de souffrances de Saints Brancovans se déroule entre deux grandes fêtes : l’Annonciation, quand le souverain est révoqué et sa famille incarcéré, et l’Assomption, quand le prince, ses quatre fils et son conseiller sont martyrisés pour leur refus de renoncer à la foi chrétienne orthodoxe. Tous ces faits se passaient l’année 1714. Ces évènements qui coïncident avec des moments importants de l’Eglise ont été intégrés par Elena Murariu dans ses œuvres : entre l’annonciation de la future résurrection en Christ des Brancovans et leur passage vers la vie éternelle. Il est important de signaler que le souverain a été martyrisé le jour même où il accomplissait ses 60 ans. Pour marquer ce moment d’anniversaire, Brancovan avait battu monnaie avec son visage (qui sera, d’ailleurs, une des fautes qui lui seront imputés par le sultan et qui contribueront à sa condamnation). L’artiste Elena Murariu, nous parle dans la préface de l’album de l’exposition « Racines Brancovannes » de l’image avec le visage du souverain sur la monnaie comme une préfiguration de la sainteté et de l’auréole qui couronnera sa tête.
Au moment où le prince et sa famille ont été pris et conduits à Constantinople pour être emprisonnés, son troisième fils était sur le point de se marier. Sa sœur Balasa avec son mari étaient à Constantinople pour chercher sa fiancée et l’amener en Valachie. Elena Murariu nous révèle que « cette situation lui offre un rôle clé dans l’icône » à Radu. Le jeune homme a dans ses mains, à part la croix, signe du martyre pour la foi, les bagues du mariage qui ne se fera plus sur terre, mais aux cieux avec Christ, l’Epoux éternel. D’ailleurs, Brancovan n’a jamais soupçonné les buts des messagers du sultan. Il croyait que ceux-ci était venus pour préparer le mariage. Finalement, il ne s’est pas trompé, mais le mariage qui se préparait ne faisait pas partie de ce monde.
Le 15 août, Constantin Brancovan, ses fils – Constantin, Etienne, Radu, Mathieu, et le conseiller Ienake Vacarescu, après des longues mois de supplice, sont portés en chemises blanches et pieds nus devant le sultan. Ils sont obligés des renoncer à leur foi ancestrale pour sauver leurs vies. Puisqu’ils refuseront, leurs têtes seront coupées, d’abord aux fils, ensuite au conseiller et à la fin au souverain. Le jeune Mathieu, qui n’était qu’un enfant, dans un moment d’hésitation prie son père de le laisser renoncer à la foi chrétienne pour conserver sa vie. Brancovan refuse que son fils perde son âme pour quelques années en plus de vie humaine. C’est pourquoi dans les icones et les autres représentations de Saints, Brancovan repose sa croix sur la tête du jeune Mathieu, signe qu’il veille à la conscience de son fils. De ce point de vue, l’artiste fait la comparaison entre Saint Constantin Brancovan et Abraham, qui a préparé l’autel pour sacrifier son fils Isaac. Une ressemblance est trouvée également avec la mère du Saint Martyr Méliton, l’un de quarante Martyrs de Sébaste, qui a choisi de sacrifier son fils afin qu’il gagne la vie éternelle.
Après les avoir tués, les corps des Brancovans sont jetés à la mer, d’où ils seront ensuite pêchés par des grecs et déposés dans une église sur l’ile Halki. L’épouse du prince, Marie prendra les ossements de son mari et les inhumera dans un tombeau qui se trouve à l’Eglise Saint Georges Nouveau de Bucarest. Ces moments sont également saisis par les œuvres de l’exposition dédiée aux Brancovans. Les corps de martyrs sont représentés après avoir été jetés dans la mer avec un poisson dans leurs bras, symbole de leur foi. Le poisson est le symbole utilisé par les premiers chrétiens pour se reconnaitre entre eux (le grec IHTIS, qui se traduit poisson, est une abréviation du nom de Jésus Christ).
Le langage stylistique utilisé par l’artiste s’inscrit dans le symbolisme lié au Paradis et à la vie éternelle : l’arbre, le paon, l’échelle, la colonne, la spirale. L’arbre est le symbole de la vie en permanente évolution, de la régénération qui suit à la mort, de l’ascension vers les cieux. Un autre élément utilisé par l’artiste est le paon, qui signifie la royauté. Dans le christianisme il symbolise aussi l’Eglise qui voit tout, en raison des yeux présents sur sa queue. Le paon est devenu aussi le symbole de la résurrection et de l’immortalité, grâce à la manière dont il renouvelle ses plumes. L’échelle, transcrite en compositions verticales où diagonales, représente l’ascension des Brancovans vers la transfiguration dans le Royaume des Cieux. En complément, on a les compositions horizontales, scènes de la vie terrestre, qui renvoient à l’humain.
Toute la série d’œuvres, icônes ou études hagiographiques, est un témoignage des vies de Saints Brancovans, exemplaires, mais marqués implacablement par la tragédie, et surtout de l’attitude dans laquelle ils ont reçu leur mort, dignes du Royaume des Cieux que Christ a préparé pour leur Vie éternelle. La vie et la foi des Saints Martyrs Brancovans sont des modèles pour tous les chrétiens. C’est pour ça qu’en conclusion j’aimerais rappeler les paroles du prince adressés à ses fils avant de mourir, un exemple vivant pour nous tous :
« Voici, toutes nos richesses et tout ce que nous avions, nous les avons perdus ! Ne perdons pas nos âmes aussi… Restez forts et courageux, mes chers ! Ne craignez pas la mort. Regardez au Christ notre Sauveur, à quel point Il a souffert pour nous et quelle mort de honte Il a eu. Croyez-en vivement et ne changez pas, ni effacez votre foi pour la vie et pour ce monde … »
Sources : La préface réalisé par Elena Murariu dans l’album de son exposition „Rădăcini brâncovenești/Brancovan Roots”, avec le titre „Racines Brancovannes – le chemin vers l’icône” et l’interview que l’artiste a accordé à la revue „La famille orthodoxe”
Des remerciements au Père Emilian pour les photos mises à disposition.