Sur la vie mystérieuse à laquelle on accède par le culte de l’Eglise

La théologie, une démarche expérientielle

L’expérimentation scientifique se produit le plus souvent dans un lieu consacré à l’étude expérimentale, prévu avec des outils perfectionnables en permanence et utiles à la recherche spécialisée que chaque objet de connaissance suppose. Ce lieu est le laboratoire scientifique. C’est le lieu de  rencontre de l’homme de science avec la réalité phénoménale, lieu qui favorise le geste de partager la compréhension de cette réalité, en clé de lecture scientifique. A son tour, par une démarche de compétence propre et par un différent registre de compréhension, la théologie est expérientielle et exige la présence d’un laboratoire ; tout le geste sincère de prière, qui implique la pénitence, toute la démarche de la conversion profonde de l’âme à sa rencontre avec le Christ, font expérimenter à l’homme la rencontre avec la présence divine à l’intérieur de son cœur, comme dans un vrai « laboratoire de la vie éternelle », en permanence perfectionnable par la transformation même de l’homme en Christ, en purifiant son cœur. Il n’y a aucune théologie authentique sans vivre l’expérience directe de la présence de la grâce divine, tout comme il n’y a pas de science médicale validée seulement par des diplômes sans pratique concrète. « Un théologien est celui qui prie et celui qui prie est un théologien », témoignent les Pères de l’Eglise, en voyant le geste d’ascèse spirituelle dans la pratique de la prière, par le biais de laquelle le chrétien prend son élan vers le territoire de l’Esprit, là où la compétence humaine n’a aucun pouvoir. Tout comme un radar qui devient de plus en plus sensible et fin, ainsi l’homme qui parcourt le chemin du reniement de la vie altérée par le péché afin de trouver, en priant, la noblesse de l’existence dans la grâce divine, augmente sa capacité de saisir toujours plus finement et plus profondément ce que l’Esprit veut lui partager. En ce sens, les grands théologiens représentent pour l’Eglise des chercheurs véritables, des visages nobles et scrutateurs à la profondeur de la vie dans le Saint Esprit, duquel ils reçoivent des découvertes et des compréhensions nécessaires au salut de tous. Selon le témoignage de Saint Silouane l’Athonite, les dimensions de l’achèvement sont celles auxquelles l’homme « ne parle plus du soi, mais seulement du Saint Esprit ». Et le laboratoire de la vie spirituelle est « la dépense du cœur », l’homme intérieur, et, dans un sens plus large, l’Eglise entière comme lieu de l’expérimentation, de la participation des gens à la présence divine.  

La liturgie, le laboratoire où l’expérience de la Rencontre a toutes les chances de réussir 

Plus l’homme se concentre d’une manière profonde sur le corps du Christ – l’Eglise, plus il participe profondément à la vie que le Christ même désire partager avec lui. Et la démarche par excellence de cette concentration spirituelle est la démarche liturgique :

« Le but exclusif de la liturgie est de faire, de ceux qui participent ensemble à cette réunion eucharistique, le corps du Christ, ce qui signifie qu’ils doivent avoir un contact substantiel entre eux, qu’ils soient une famille, qu’ils partagent leur vie avec les autres, qu’ils participent, l’un aux douleurs, aux bégaiements, aux problèmes et aux bonheurs de l’autre. Participer ensemble à la liturgie, c’est le  seul moyen de nous sauver, et non pas lorsque l’on regarde, d’un air impersonnel et passif, une prestation  cérémoniale. » [1]

La liturgie est le laboratoire théologique où l’on apprend comment devenir homme. C’est le lieu où l’on partage concrètement la beauté et l’efficience de l’humanité du Christ, celle qui est en contraste flagrant avec nos inefficacités, en apprenant à aimer peu à peu, par l’inspiration de l’Esprit : « Il est impossible pour quelqu’un d’être en communion avec Dieu sans être en communion avec celui de son côté. En plus, la liturgie n’est pas une prière quand même, mais un procès de la réalisation d’un corps unique (celui du Christ). […] Evidemment, la liturgie est une expérience qui transcende le monde, elle est un avant-gout du royaume de Dieu. » [2]

Alors, comment est-il possible que la liturgie semble, à certains, être une entreprise toujours monotone et stérile ? Comment peut-on vivre « l’avant-gout » de la vie éternelle en ayant la sûreté de notre maintien sur une position verticale dans une représentation émotionnelle exaltée et idéaliste, mais, au fond, privée de contenu spirituel ? Comment peut-on vraiment « expérimenter », en répétant de manière continue la même action ? La répétition, peut-être, ne signifie-t-elle pas de la monotonie et de la routine, des gestes opposés à toute entreprise de connaissance qui demande à savoir être ouvert vers le nouveau ? Voilà des questions que ceux qui sont habitués à l’expérience du geste d’investigation scientifique, polymorphe et dynamique, peuvent se poser, ayant toute justification, comme d’ailleurs n’importe quel homme de bonnes manières qui cherche une  rencontre authentique avec Dieu. Ces questions sont d’autant plus valables lorsqu’il arrive « que les clercs mêmes qui officient la liturgie transmettent plutôt un sentiment de pétrification, résultant du professionnalisme et de la répétition mécanique des paroles de la liturgie, et non pas un sentiment d’expérience transcendante ; et ils intensifient ce sentiment quand ils essaient de convaincre l’auditoire par leur sermon à l’aide des arguments logiques. » [3]

Ce qui sauve tant le prêtre officiant la liturgie que le chrétien d’une telle décadence de l’expérience liturgique, c’est la pénitence. La conscience de sa propre misère, de son incapacité spirituelle et physique détermine l’homme à avouer : « je crois : viens au secours de mon incrédulité », par lequel l’Esprit est prié de guérir son intérieur. La prononciation de la liturgie est une coupe, un récipient en terre qui porte le trésor du Ciel, et, par le biais duquel, le chrétien reçoit le Seigneur même, en ayant la conscience de sa propre infamie.  Ce n’est pas la coupe la cible de notre dévotion, on sait de notre propre expérience que l’on porte les célestes dans la mesure où l’on se dédie à la liturgie. Les gestes, les symboles, le rituel sont le véhicule par lequel Dieu coopère avec l’homme. « C’est le temps que Dieu travaille » est la parole qui marque le moment préparatoire pour le commencement de la liturgie, une parole qui montre la nécessité de l’ouvrage divin, ici et maintenant, d’urgence, « parce que les hommes ont détérioré la Loi » du Seigneur, parce que les hommes, par ignorance, ont rendu sombre la présence de Dieu dans le monde. La liturgie n’est pas seulement l’anamnèse d’ordre psychologique ou émotionnel, mais l’empreinte, effectivement, de la Présence sanctifiante sur l’homme. En répétant la liturgie, l’homme se laisse percer, peu à peu, d’un Sacrement qui devient pour lui un nouveau souffle, une nouvelle vie :

« La liturgie se compose de telle manière qu’elle imprime le mieux possible dans notre conscience « la chose » du Christ sur la terre. Par la répétition incessante de cette action, son vaste sens devient de plus en plus notre propre contemplation, notre vision du monde. » [4]

Le laboratoire liturgique est le lieu de l’imprégnation de l’homme avec les Célestes, le lieu où l’on apprend à « (…) vivre dans les plans de deux réalités : celle qui est divine et la nôtre, de l’être humain. (…) A chaque instant liturgique on se trouve dans cette époque, et également dans l’éternité ; nous sommes les possesseurs d’une vie nuisible qui porte la mort, et, en même temps, nous avons avec nous Sa Parole, Sa Lumière, Sa Vie. Et autant que l’on répéterait cette cérémonie, autant que l’on acquerrait de nouvelles et nouvelles entrées dans la réalité liturgique, on n’arrive jamais à sa « fin ». Mais, cependant, même lorsqu’on est heureux, lorsqu’on a peur, on partage la vie divine et on ne peut plus s’éloigner de la grande et vaste pensée de notre Créateur et notre Père, qui se découvre toujours à nous. » [5]

La liturgie ne constitue point une « méthode » de connaissance de Dieu qui garantirait, par elle-même, le succès de la démarche. La liturgie que les Pères de l’Eglise ont faite, insufflés par Dieu, comme vêtement de parole de prière du Sacrement de la Communion avec le Christ, Sacrement institué par le Fils même de Dieu à la Cène, est le milieu où le niveau ecclésiastique de l’expérience de la prière transforme les hommes en êtres vivants, qui reçoivent la vie par l’un et le même corps du Christ qui est l’Eglise, et dont la tête est le Christ lui même. Le lieu liturgique est le lieu où l’homme, par l’achèvement de la divine liturgie, expérimente la Descente du Saint Esprit, il expérimente spirituellement une entrée dans la conscience de la vie éternelle, en commençant, à partir de ce moment, à prendre part à la vie de Dieu.

La liturgie, la joie de la participation au Sacrement

« C’est le Sacrement institué par le Christ même, par la prière de remerciement et le geste de bénédiction du pain et du vin, à la Cène avec les apôtres, où l’Eglise actualise, de façon sacramentelle, son œuvre délivrante, concentrée sur Son Sacrifice et Sa Résurrection. » [6]

L’eucharistie est le sacrifice de la Nouvelle Alliance entre Dieu et l’homme. La Nouvelle Alliance, accomplissement et achèvement de l’Ancienne, est scellée par le Fils même de Dieu qui est devenu aussi Fils de l’Homme, vrai Dieu et vrai homme, par Son Incarnation, Sa Souffrance, Son Crucifiement et Sa Résurrection.  C’est l’offre de la nouvelle nourriture, divine et spirituelle, par le biais de laquelle l’homme né en Christ (de l’eau et de l’Esprit, au baptême) soit déifié. L’eucharistie fait renaître l’Eglise en permanence ; on expérimente ainsi l’avant-gout du Royaume des Cieux sur la terre, par la présence de la grâce. Les Chrétiens sont par excellence les remercieurs du Royaume de Dieu, ceux qui mettent, au centre de leur existence, le geste de remerciement et de reconnaissance adressé à Dieu, pour sa bénédiction de partager la vie divine avec lui. Avec le temps, l’eucharistie a acquis la forme de ce que l’on appelle aujourd’hui « la sainte  et divine liturgie », que l’on expérimente couramment à l’époque contemporaine selon le modèle reçu des Saints Basile-le-Grand et Jean Bouche-d’Or.

Le Christ même nous conseille d’achever incessamment le sacrifice eucharistique : « chaque fois que vous mangerez ce pain et vous boirez ce vin, annoncez la mort du Seigneur jusqu’au moment où il viendra ». Après Sa Résurrection, le Christ se montre à Luc et à Cléopa sur le chemin, et, en n’étant pas reconnu par eux, Il leur interprète les Écritures qui témoignaient de Lui, ensuite Il prend le dîner avec eux, et, pendant qu’Il rompt le pain, leurs yeux commencent à Le reconnaître  mais Il disparait. C’est le geste de la consécration liturgique des Dons, le Christ est resté avec eux par le pain qui est devenu Son Corps. C’est le témoignage du commencement de la présence eucharistique du Christ. Il se propose ainsi de sanctifier l’homme par eucharistie-communion jusqu’à la fin des siècles. Le geste de rompre le pain et le début du Christ eucharistique est, donc, du commencement, dans l’Eglise, la mie de l’expérience chrétienne. Les témoignages sur l’achèvement de l’eucharistie sont anciens depuis le christianisme. « La doctrine des douze apôtres », « le document le plus important de l’époque des Apôtres et la plus ancienne source de la législation de l’Eglise » [7], comprend les plus vieilles indications du typicon  concernant l’achèvement du Sacrement de l’Eucharistie :

« Et en ce qui concerne l’eucharistie, voici la procédure : Tout d’abord en ce qui concerne la coupe: « Notre Père, nous Te remercions pour le saint vignoble de David, ton serviteur, que Tu nous a fait connaitre par Jésus, Ton Fils. C’est à Toi la gloire pour les siècles des siècles». En ce concerne la rupture du pain : « Notre Père, nous Te remercions pour la vie et la connaissance, que Tu nous as fait connaitre par Jésus, Ton Fils. C’est à Toi la gloire pour les siècles des siècles. Tout comme ce pain rompu était éparpillé sur des montagnes et après avoir été ramassé est devenu un seul, ainsi que l’Eglise de tout le monde se masse en Ton Royaume. Car c’est à Toi qu’appartiennent la puissance et la gloire, par Jésus Christ, pour les siècles des siècles ». Que personne ne mange ou boive de votre eucharistie, à l’exception de ceux qui ont été baptisés au nom du Seigneur. Car, concernant cela, le Seigneur a dit : « Ne donnez point les choses saintes aux chiens (Mt. 7,6) ».

Et après avoir reçu la communion, remerciez comme cela : « Notre Père Saint, nous Te remercions pour Ton nom sanctifié, que Tu as mis dans nos cœurs, et pour la connaissance, la foi et l’immortalité, que Tu nous a fait  connaitre par Jésus, Ton Fils. C’est à Toi la gloire pour les siècles des siècles. Toi, notre Maître Tout-Puissant, « Tu as créé tout » (Sagesse. 1,14) pour Ton nom. Tu as donné aux gens de la nourriture et de la boisson pour qu’ils Te remercient, et Tu nous as donné, par Ton Fils, de la nourriture et de la boisson  spirituelle et la vie éternelle. Avant tout, nous Te remercions, car Tu es Puissant. C’est à Toi la gloire pour les siècles des siècles. Rappelle-Toi, notre Seigneur, de Ton Eglise, pour la protéger de tout mal et l’achever par Ton amour, et « rassemble des quatre vents » (Mt. 24,31) cette Eglise sanctifiée, que Tu as préparée, dans Ton Royaume. Car c’est à Toi qu’appartiennent la puissance et la gloire pour les siècles des siècles. » [8]

La vision eucharistique du monde s’exprime par la démarche de retourner, en geste de dévouement propre à l’homme, comme un fils vers son Père, les dons que le Père lui a offerts par le biais de la création tout entière. Cette démarche peut comprendre toute l’existence de l’homme ; c’est la guérison par excellence, dans la sainteté, de toute schizophrénie que l’homme contemporain expérimente si souvent dans ses essais de connaitre le monde, le Seigneur et le soi-même. La liturgie structure, donc, l’homme en geste de dévouement du fils vers le Père.

La théologie liturgique, une théologie par excellence incarnée

Dieu adresse Sa Parole à l’homme. Il ne la lui adresse pas de la même façon que l’homme le fait, phonétiquement ou par écrit, mais de manière incarnée. La Parole de Dieu est Dieu lui-même. La Parole de Dieu est Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme, et la théologie divine exprime cette réalité de l’union – de la synergie entre le divin et l’humain. Notre théologie, suivante de la théologie du Christ, est appelée, à son tour, à se structurer comme expérience de la réalité humaine, « d’en bas », avec de l’inspiration et du pouvoir « d’en Haut ». Notre théologie a à unir, selon le modèle du Christ, qui a uni dans sa propre personne, les natures humaine et divine, la culture horizontale avec la culture verticale dans le geste cruciforme d’un être humain qui participe simultanément à la réalité propre à sa nature et, en même temps, à la grâce divine. Le geste exclusivement culturel ou historique d’assumer le Christ est, donc, un geste par lequel on manque le Christ, au moins à la même mesure que le geste du dialogue « élevé », « angélique », par des préoccupations qui séparent l’homme de la réalité concrète de son existence. En évitant les deux extrêmes, nous avons à découvrir le paradoxe de nos humanisations et déification simultanées dans Celui qui a été incarné. Cette expérience devient impossible si l’on a de la compétence exclusivement horizontale ; elle commence avec la naissance par le baptême, et ultérieurement, avec la culture de l’homme dans les Célestes. Le baptême n’est pas du tout un geste culturel et un éventuel accomplissement de « tradition » culturelle-religieuse (écrite avec petit t) ; il est, en fait, un geste effectif de l’entrée dans la vie qui « vêtit » l’homme avec le Christ de son intérieur, en lui partageant la réalité du Christ qui n’est pas celle de l’homme simple, mais celle de l’homme-Dieu. C’est l’acte de vêtir la nudité de l’homme avec un vêtement qui couvre de l’intérieur vers l’extérieur ce que le péché a su dévêtir. La submersion au baptême, un geste tout à fait concret  porte chaque fois son réalisme de « mort » en vue de la Résurrection. On peut parfois remarquer le regard de l’adulte baptisé, qui est le regard de l’homme qui est redevenu tout à coup un enfant.  La grâce ramène le visage à un aspect propre et puéril, en nous faisant comprendre que l’enfance n’est pas un âge, mais un état préparatoire du Royaume. C’est ce que le Christ dit : si l’on ne devient pas comme ces enfants, on n’entrera pas dans le Royaume.

Le nouveau-né que je suis a besoin d’être nourri par Dieu et par la vie de l’Eglise…

Les petits enfants ont besoin de lait, et rien d’autre ne peut pas le remplacer. La parole que la grâce donne par la bouche du père inspiré par Dieu est le lait pour l’enfant spirituel que chacun d’entre nous est. L’enfant reçoit le geste de la nutrition sans le comprendre, sa conscience ne peut pas encore avoir un minimum de jugement : il ne sait pas que ce lait est vital pour sa croissance, il fait seulement le geste de le recevoir et c’est tout. Plus tard il arrive à entendre que ce lait ne ressemble pas au coca-cola ou au jus d’orange, que la différence fondamentale entre eux est que le lait contient des ingrédients vitaux pour sa vie, alors que les autres non. La conscience du caractère « vital » de la parole inspirée par la grâce peut apparaitre à chacun tôt ou tard … Mais, heureux est celui qui a découvert dans son expérience la différence fondamentale entre la parole affermi par la grâce et la parole humaine perfectionnée. La parole divine tient de l’ontologie de l’homme, parce qu’elle répond au besoin ontologique de l’homme dans son achèvement, il n’est pas « intéressant » comme tel qui apporte de l’information, mais il est plutôt « vivant » comme tel qui apporte de la vie.

Les mères savent qu’un bébé qui ne stimule pas le sein peut les mettre dans la situation de ne plus pouvoir produire du lait, elles savent également qu’un bébé actif, qui stimule conséquemment le sein de sa mère, a implicitement la joie d’être nourrit abondamment. Dieu nourrit abondamment tout enfant travailleur, et l’assiduité de l’enfant est la raison qui provoque l’abondance. La grâce vient par les Sacrements de l’Eglise, par le biais de la prêtrise ; le prêtre est le premier témoin qui assiste à la merveille de voir le lait couler à flots des sources divines qui créent de la vie, vers les enfants spirituels qu’il reçoit, à leur demande de nutrition. Cet écoulement nourrit aussi le prêtre, en le laissant sans parole et le rendant tellement heureux… La prêtrise est  la merveille de la nutrition des nouveau-nés pas avec ce que tu produis comme prêtre, mais avec ce que tu reçois du Ciel par la prêtrise que tu portes.

Dieu, en s’adressant à l’homme, qu’Il connait dans des mesures que ses propres parents ne le connaissent pas, lui dit à l’oreille du cœur, de manière mystérieuse, ce qui répond à son besoin de compréhension et d’achèvement. Quelle merveille peut être plus grande ? Notre Seigneur assume chacun d’entre nous, en nous offrant, avec Sa compréhension divine, ce qui caresse nos âmes et les rend toujours heureuses. Le Saint Esprit, Le Consolateur…en Lui, toute l’âme reçoit la caresse et éprouve la joie d’avoir été compris et aimé par le Père des Cieux, et la parole qui vient est la guérison et la résurrection… c’est pour cela que les paroles des Saints consolent et reposent les hommes comme rien d’autre, parce que dans leurs paroles il y a la grâce de Celui qui connait le mieux nos cœurs et ce qui correspond vraiment à nos besoins les plus intimes, délicats et profonds… Dieu nous nourrit d’une manière qu’aucun produit humain ne peut répondre à notre besoin existentiel de nourriture…Il nous nourrit en rendant noble notre expérience jusqu’au moment où nous irons dans le Royaume dans lequel il n’y a pas de patrons et de serviteurs ou d’esclaves, mais seulement un Père et des fils.

… jusqu’à devenir fils nous avons à croire avec persévérance à la déification de l’homme

Comment pourrons-nous devenir fils de Dieu, notre Père à tous, si nous croyons seulement à la rémission des péchés, sans être en communion avec Lui ? Le Christ ne nous appelle pas à une simple rémission, mais à une filiation, un don que les anges des cieux, des esprits serviteurs, ne détiennent pas. Croire à la déification de l’homme n’est pas une folie, nous enseignent les saints ; la folie, c’est de ne pas y croire. Voilà un péché dont on est peu conscient de nos jours, mais si présent malgré tout… ne pas croire à la possibilité réelle de connaitre Dieu par la rencontre intérieure avec la grâce divine. L’Archimandrite  Sophrony Sakharov (saint contemporain dont le témoignage de sainteté est témoigné, parmi d’autres, de façon évidente dirais-je, par hardiesse dans le Seigneur avec lequel l’homme contemporain a parlé  sur l’expérience de la grâce, en dévoilant sa propre expérience arrivée jusqu’aux mesures taboriques de voir le monde non-créé) dit que l’homme croit vraiment à son propre salut lorsqu’il croit à sa propre déification. Mais qu’est-ce que cela veut dire «déification » ? Qui peut être comme Dieu ?

La déification est le témoignage de tout temps du Christ et des saints sur la possibilité réelle de l’homme de devenir toujours plus imprégné par la présence de la grâce jusqu’aux mesures du matériel humain rougi dans le feu de la présence divine (voir les narrations de Gheron Joseph). L’homme vit en Dieu et Dieu en lui. Evidemment, la déification n’est pas du tout une étiquette mise sur l’homme extérieur, mais sa transformation intérieure en tant qu’existence selon l’Esprit, Celui qui enseigne l’homme de vivre dans les Célestes. La spiritualité signifie la réception de la lumière par laquelle on peut distinguer ce qui va en Haut et ce qui va en bas…Celui qui perçoit le christianisme seulement comme un ensemble de règles extérieures, législatif, juridique, comme un système d’endoctrinement de l’homme, ne connait pas la grâce du Dieu…Ayant cette grâce, il est impossible de rester dans le ghetto de ses propres opinions, sans sentir l’élargissement de l’horizon par l’intuition d’une Présence qui donne de la vie et qui rafraichit tout les sens …Le vrai printemps intérieur commence à la confession, après avoir lâché les chargements de toute sorte qui salissent, en te remplissant artificiellement avec un « toi » intérieur perverti et malade. Pauvre en esprit est celui qui a lâché tous ceux-ci…

Pour pouvoir enraciner cette expérience en toi, il faut avoir de la confiance en Christ. Cette confiance ne suppose pas un certificat intellectuel, sinon le saint Silouane n’aurait pas prié avec des larmes une vie entière : « Notre Seigneur, donne à tout le monde la chance de Te connaitre vraiment, dans le Saint Esprit. » L’assurance intérieure sur le Christ comme Vérité (« Roi Céleste, Le Consolateur, l’Esprit de la Vérité…»). Le Christ ne peut être témoigné comme Fils de Dieu que dans le Saint Esprit. Sa reconnaissance, de laquelle le saint Silouane dit : « l’âme voit Dieu tout à coup et Le reconnait (…) dans le Seigneur, et dans le ciel, et sur la terre », est une reconnaissance dans l’être, en supposant la participation de l’homme à son intégralité. Et c’est une reconnaissance, pas une connaissance. Cela dit quelque chose sur le mystère de la rencontre de l’homme avec le Christ, sur le fait qu’il y a une « mémoire » de Dieu dans l’homme qui vient devant l’évidence de la conscience par l’ouvrage de l’Esprit. Ce n’est pas la raison qui Le découvre, mais Son évidence est un don de la Présence de l’Esprit à l’intérieur de l’homme.

La rencontre avec les saints de Dieu constitue la vraie faculté de théologie…

La rencontre avec la théologie des saints, qui exprime le naturel de la rencontre avec l’Esprit manifesté en « chair et en os », porte le réalisme de la présence de l’homme senti comme l’un d’entre nous, et aussi l’anormal de la rencontre d’un humain qui est souvent attrapé par le péché, image à laquelle nous sommes si habitués :

« Pourquoi ce sentiment d’étonnement qui sort de toute bonne manière et de la raison-même ? Ce que je sentais devant Nicon était l’Universel. Pour moi le temps était aboli, et je me faisais abolir moi-même aux pieds de ce dévoué. Personne n’exprimera un jour cette paix indicible. Si j’y pense maintenant, je ne sais pas où j’étais situé par rapport à lui ; je crois qu’à ce moment-là j’étais vide, je n’étais plus à l’intérieur de mon corps. (…) Dans cette présence parfaite qui remplissait la chaumière d’un scintillement insolite, l’ensemble de complexes, de troubles et craintes constituant le tissu de notre nature, les crispations accumulées en nous, les réticences, les replis, les ressentiments, l’entière méchanceté humaine arrive à la maturité en un clin d’œil, elle jaillit à la surface. Alors, l’envie de crier t’enveloppe afin de te faire anéantir dans ce cri ; le désir de disparaitre dans cette joie  infinie, permanente, irrésistible, dans cette joie qui se régénère. Quelle joie ? Celle-là de te sentir à l’aise, libéré de tous les ennuis accablants. Celle-là d’avoir  concrètement devant toi la preuve palpable, incontestable de l’Esprit et, j’ose le dire, de l’Esprit en chair et en os ; d’avoir enfin la preuve indubitable que ces êtres à double nature : humain et divine, dont on a toujours parlé dans les livres sans jamais pouvoir vérifier leur existence, ces êtres existent vraiment, bien qu’ils soient parmi les plus rares au monde ; et, par ce fait-même, l’épreuve que la transformation de l’humanité en un état supérieur de la conscience n’est pas une hypothèse, un mythe, une utopie, mais un essai parfaitement réalisable, bien que d’une difficulté extrême. Et, par ailleurs, aussi la joie que je vivrai, à partir de ce moment jusqu’à ma mort, avec la certitude que cette possibilité existe. (…) Je sentais en même temps un immense dégoût envers moi-même. Je pensais que j’étais dans un champ magnétique où il m’était également difficile de rester et de m’éloigner. J’aurais suivi cet homme jusqu’à la fin du monde. Le présent éternel. C’était lui. » [9]

L’archimandrite Sophrony nous affermit d’insister auprès du Christ, en nous rapportant à la sainteté-même, comme à une vraie étoile polaire présente en haut et qui nous conseille dans la voie de sainteté qu’il faut désirer et non pas abandonner tout à coup, à cause du fait qu’elle se trouve trop haut…le chemin est parsemé avec des difficultés, dont l’honnêteté seule envers le Seigneur et la conscience, par le geste d’obéir le père spirituel, peut nous protéger…la preuve que l’on peut y réussir est le saint qui apporte, en chair et en os, la présence divine exprimée par le fait d’assumer l’humain.

[1] Le Père Philoteos Pharos, Înstrăinarea Ethosului creştin, ed. Platytera, Bucarest, 2004, p. 102.

[2] Ibidem, p. 104.

[3] Ibidem, p. 105.

[4] L’Archimandrite Sophrony, Vom vedea pe Dumnezeu precum este, ed. Sofia, Bucarest, 2005, p. 332.

[5]Ibidem, p. 337.

[6]Pr. Prof. Dr. Ion Bria, Dicţionar de teologie ortodoxă, ed. IBMBOR, Bucureşti, 1994, p. 156.

[7] Scrierile Părinţilor apostolici (traducere, note şi indici de pr. dr. Dumitru Fecioru), ed. IBMBOR, Bucureşti, 1995, p. 17.

[8] Ibidem, pp. 31-32.

[9] Jean Biès, Athos – muntele transfigurat, ed. Deisis, Sibiu, 2006, pp. 234-237.

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